Du 30 janvier au 3 mars 2002
Galerie d'art de l'Université de Moncton

CORRESPONDANCE POUR LA PAIX
Intervention de Chedly Belkhodja
On m’a demandé d’intervenir ce soir dans le cadre d’un vernissage ce que je trouve fort intéressant car l’interdisciplinarité est donc au rendez-vous.

Mon intitulé est le suivant : Le croisement des pistes

L’après 11 septembre donne une grande place aux catastrophistes et aux nouveaux pessimistes. On nous annonce un monde hyper-sécurisé, un monde où les conflits de demain se joueront autour de fractures culturelles, par exemple, la fameuse thèse du Clash of Civilization qui met face à face l’Occident et l’Islam dans une lutte à en finir entre infidèles.
En quelques années, du tout allait pour le mieux lorsque Wall Street nous comblait de bonnes nouvelles, nous nous retrouvons subitement dans le tout est foutu. Le problème, c’est qu’à force de plaquer un discours normatif, on ignore à quel monde « mondialisé »nous avons réellement affaire.
Le monde mondialisé n’est pas seulement celui de l’étranglement des faibles par les forts. Le monde mondialisé n’est pas seulement celui du triomphe de l’économie de marché ou de cette lutte à en finir contre l’hydre capitaliste. Le monde mondialisé est également ce monde des croisements de pistes : ce monde qui devient de plus en plus un monde en circulation qui ne se limite pas strictement à la quantité des échanges, le fameux N=, mais va inévitablement vers la multiplication des imaginaires.
Plusieurs admettent éprouver le monde mondialisé à partir du métissage et non par l’homogénéisation d’une culture dominante ou le repli frileux vers une culture du passé. On nous présente un monde simple : un espace mondial où l’économie prend toute la place face à des espaces identitaires en proie à la fragmentation provoquée par les mouvements d’ethnicisation ou de ré-identitification. Pour éviter ce genre de lecture, on nous présente la culture métissée comme une marchandise du World beat. Serge Gruzinski dans la Pensée métisse nous dit (p.10) : « On a donc tendance à opposer métissages et identités : le métissage serait l’extension-calculée ou subie- de la mondialisation dans le domaine culturel, alors que la défense des identités se dresserait contre le nouveau Moloch universel ».
Le métissage culturel ne doit pas signifier perte des identités mais rencontre des cultures. Il faut donc croiser les pistes et tout exercice de création permet de nuancer et surtout de nous inscrire dans un rapport à la quotidienneté. Comme le souligne Claude Lévis Strauss, au-delà du mélange, la culture doit favoriser les rencontres.

Comme on peut le voir ce soir, un lieu important de la construction de ces imaginaires est la création et doit constituer une halte dans cette fâcheuse mode au catastrophisme. Tout est plus complexe et simple à la fois

Chedly Belkhodja, 30 janvier 2002

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