Extrait de L’Acadie Nouvelle, L’Accent acadien,
semaine du 6 décembre au 12 décembre 1997, page 3.


" Le noir, c’est ma façon de dire :
'regardez ce que vous faites, vous faites ça à la vie' "

- Roméo Savoie

Des ténèbres, il faut sortir

Le noir, toujours le noir. Décidément, Roméo Savoie a une prédilection pour cette obscure couleur. Pour l’artiste, le noir ne signifie pas que la vie est sombre mais que l’humanité est aveugle.

" C’est ma façon de dire : ‘regardez ce que vous faites, vous faites ça à la vie’. Vous mettez vos verres fumés, vous ne voyez rien, vous ne voyez pas la couleur de la vie, vous recouvrez tout. Alors, je le fais en peinture, comme un processus volontaire pour marquer ma désapprobation. Je ne veux pas que les gens me prennent pour un aveugle ou pour un imbécile. Je vois et ce que je vois, je le dis ", déclare-t-il.

Vêtu de noir, Roméo Savoie nous accueille à son domicile à Robichaud. Une maison qu’il a construite lui-même dans laquelle on retrouve son atelier et des centaines de tableaux qu’il a peint en 27 ans de carrière artistique. Il estime qu’il a réalisé au moins 3000 tableaux. Certains tableaux ont été vendus, donnés ou encore détruits mais l’artiste en garde plusieurs chez lui. Roméo Savoie, poète, philosophe et artiste-peintre, demeure convaincu qu’il a une responsabilité en tant qu’artiste. S’habiller en noir ou en jeans est comme un rituel; celui des artistes pour s’opposer à la société telle qu’elle est et objecter cette fausse élégance qu’on exhibe partout.

" Moi, j’ai quatre paires de jeans et deux paires de pantalons noirs. Je ne porte pas de chemise, de cravate ou de veston. Quand tu assumes quelque chose, il faut que tu l’assumes d’un bout à l’autre ", soutient-il.

Il ne peut plus se conduire comme un adolescent fou qui ne se soucie pas des conséquences même s’il n’a pas choisi d’être un modèle pour les générations futures.

" Au départ, quand j’ai commencé à peindre, je peignais n’importe quoi mais maintenant je ne peux plus faire n’importe quoi. Je sais que je suis responsable d’une génération qui s’en vient donc il faut absolument que je sois sérieux dans la présentation de mon art et dans ma vie personnelle. Il faut absolument que je sois un adulte. "

Cet automne et cet hiver, Roméo Savoie présente trois expositions. Il s’agit d’un pur hasard. Dans ses trois expositions, Roméo Savoie a voulu qu’il y ait une évolution. À l’Hôtel de ville, il a présenté des œuvres plus traditionnelles; un peu pour prouver à ses détracteurs qu’il sait peindre. Ce sont des sujets identifiables, des pianos et des fleurs. L’exposition qui est en montre jusqu’au 4 janvier à la Galerie d’art de l’Université de Moncton est d’envergure et démontre bien ce que l’artiste fait actuellement. Presque tous les tableaux sont noirs.

" Ce n’est pas de la peinture noire, c’est de l’encre de chine. Ça représente l’écriture car dans mes tableaux, il y a de l’écriture. J’écris un poème dans le tableau, je le recouvre, je le retravaille et je le recouvre à nouveau. Il y a toujours 10 à 15 couches de peinture dans mes tableaux. Je donne une histoire au tableau puis je le recouvre d’un espèce de vernis noir. C’est comme si on recouvrait l’humanité. "

D’Hiroshima à la Mer réunit 22 tableaux dont trois installations comprenant 22 tableaux, ce qui représente plus de 100 œuvres. L’exposition se trouve dans les trois salles de la GAUM et dans le corridor à l’entrée de la grande salle. Il y a aussi des tables en acier et des colonnes sur lesquelles il y a des céramiques. L’artiste a voulu provoquer une réflexion sur le sens de la famille.

" Traditionnellement, la famille était le lieu de rassemblement. Il y avait des chefs de famille qui donnaient des conseils et qui aidaient celui qui était le plus faible. Tout le monde travaillait ensemble. On était en rapport d’intimité et d’amour. Aujourd’hui, c’est un concept pratiquement disparu de notre société. Ce qu’on valorise présentement c’est beaucoup plus l’individu " adolescent " un peu fou. Il se donne le droit de faire des guerres, d’abuser physiquement ou de tuer des gens, d’accaparer le marché monétaire puis de laisser souffrir les autres. Il n’y a plus de famille. "

Sa troisième exposition à la Galerie 12 intitulée Bois brûlé, qui se tiendra à la fin décembre, fait un lien

avec le feu. Suivant sensiblement les mêmes techniques employées pour son œuvre sur Évangéline à la GAUM, Roméo Savoie brûlera une dizaine de tableaux pour ensuite les repeindre juste un peu.

" Au lieu de mettre de la peinture et de graver dans le bois, je brûle les tableaux comme geste artistique, comme une purification des tableaux. "

En 1970, Roméo Savoie a quitté l’architecture pour se consacrer entièrement aux arts visuels. Il détient une maîtrise en arts. Il a choisi la peinture pour grandir et évoluer. Il travaille huit heures par jour dans son atelier depuis près de 30 ans et il estime qu’il ne peut pas faire autrement que d’observer l’humanité et de réfléchir. Son art suscite la réflexion et la curiosité à l’image de son créateur.

" N’importe qui peut faire un tableau. Quand j’étais aux Beaux-arts, j’étais capable de faire des personnages, j’étais capable de faire de beaux paysages. Une fois que c’est fait, ça ne sert plus à rien. Moi je suis en évolution. Je veux aller le plus loin possible en peinture. "

Selon lui, les tableaux ne sont que des objets qui nous permettent de grandir.

" Tu peux détruire tous les tableaux du monde, en faire un gros feu et l’art continuera d’exister. L’art c’est autre chose. C’est une pensée philosophique et artistique sur l’univers. C’est ça l’art. "

Il ne sait pas ce qui fera après ses trois expositions. " Je rentre dans mon atelier le lundi matin et je suis complètement perdu. Je ne sais pas ce que je fait et je commence à regarder ce que j’ai. Je lis les journaux, je regarde la télé, j’écoute la musique et je me mets en communication avec l’univers. Petit à petit, certaines choses commencent à me déranger et à un moment donné, il y a une idée qui resurgit soit pas un poème, une musique, une lecture ou par autre chose. Il y a une idée qui se met en place et que je vais traiter ", ajoute-t-il.

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Par Sylvie Mousseau
L’Accent Acadien

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