Jacques Martin : NOTE BIOGRAPHIQUE ET DÉMARCHE

Jacques Martin est né à Edmundston, Nouveau-Brunswick en 1952. Après avoir obtenu un baccalauréat ès arts, mention arts visuels du Centre universitaire Saint-Louis-Maillet (1974), il s’inscrit au baccalauréat en arts visuels à l’Université Laval à Québec. Il est diplômé en 1977. En 1992, il termine une maîtrise en arts plastiques à l’Université du Québec à Montréal, programme offert par extension à l’Université du Québec à Chicoutimi.

Sculpteur de formation, Jacques Martin est professeur d’arts visuels à l’Université de Moncton, Campus d’Edmundston depuis 1977. Il a présenté plusieurs expositions en collectif et en solo en Atlantique, au Québec et à l’étranger. Il a été membre de jurys pour différents programmes du Conseil des arts du Nouveau-Brunswick où il a siégé de 1997 à 1999 en tant que représentant du secteur des arts visuels. Ses œuvres figurent parmi des collections privées et publiques, dont la Galerie Colline du Campus d’Edmundston, la Galerie d’art de l’Université de Moncton et la Banque d’œuvres d’arts du Nouveau-Brunswick. Il est membre de la Galerie Colline inc. et de l’Association acadienne des artistes professionnel.le.s du Nouveau-Brunswick.

Son statut de professeur-chercheur lui permet de mener deux activités parallèles: d’une part l’enseignement, de l’autre la création artistique dont les débuts remontent à plus de vingt-cinq ans. C’est vers 1970 que Martin, témoin de l’ascension des tendances formalistes au Québec, éprouve une fascination pour les formes épurées et leur exploitation en sculpture. Il prend conscience des possibilités du procédé de construction et de l’utilisation de matériaux industriels bruts comme moyen d’investigation des rapports forme-espace. Leur maniabilité lui permet d’explorer différentes avenues: construction à partir d’éléments modulaires non fixés, assemblage et démontage (installations de poutres à une échelle architecturale). Cependant, il interroge cette approche minimaliste vers la fin des années 70, en raison de sa facture trop impersonnelle qui oblige le spectateur à faire objectivement acte de perception.

Il opte pour le dessin comme alternative à une plus grande possibilité d’expression. Confronté à la gestualité immédiate du dessin et à la sculpture qui, par l’emploi d’intermédiaires, ne permet pas une expression aussi spontanée, il tente de résoudre cette situation dans une installation de nature illustrative (Empreinte, 1982-83) présentée en solo à la Galerie Restigouche et à la Galerie d’art de l’Université de Moncton. "C’est comme les rides de mon visage, la forme qu’a pris mon corps, les plis de mes vêtements... tous sont l’empreinte de mon passage", dira-t-il. Réflexion qui engendrera quelques installations à caractère d’autoportrait et lui permettra de résoudre un certain problème d’identité (1983-1986).

En 1987, une série d’œuvres sur papier met en valeur une volonté de confronter les approches divergentes du formalisme et de l’expressionnisme. Ce jeu lui permet d’affirmer sa double position, c’est-à-dire d’être à l’aise tant avec l’aspect épuré du minimalisme qu’avec l’expressivité du geste. S’ensuivra la volonté de joindre ces deux approches aux pratiques de la sculpture et du dessin. En ce sens, Crâne (1988), une réalisation grand format en dessin où s’intègre un élément tridimensionnel et qui fera partie de l’exposition itinérante Passages (1989-90) et une installation (1988) faite à partir de matériaux de récupération, jettent les bases de sa recherche sur l’intégration du dessin et de la sculpture, où l’élément sculptural apparaît comme étant le point de départ.

Cette recherche trouvera un épanouissement certain (sans pour autant en définir toutes les possibilités) dans le travail de maîtrise qu’il présente en 1991 au Centre national d’exposition de Jonquière et à la Galerie d’art de l’Université de Moncton. LIEU COMMUN, titre de l’installation, marque une époque charnière dans sa production artistique. Ici le dessin devient le point de départ à la réalisation de l’œuvre. Dans sa conception, LIEU COMMUN a cependant une origine tridimensionnelle. Il s’inspire d’un espace réel, un milieu architectural évocateur d’événements. Ce sont ce lieu et ces événements qui alimentent le dessin (structure en triptyque ), qui à son tour alimente les éléments dans l’espace: va et vient entre la représentation bidimensionnelle et le déploiement d’éléments sculpturaux (tels des cubes dont les faces seraient réorientées), rehaussés de textures suggérant les murs, imitant les surfaces plâtrées ou asphaltées, falsifiant les masses en pierre et en ciment.

Sa dernière exposition en solo, L’étrange transparence des êtres, regroupe une dizaine d’œuvres réalisées de 1994 à 1997. Composée de colonnes dans l’espace et au mur ainsi que de pièces au sol, cette production témoigne du jeu entre le pictural et le sculptural auquel se livre Martin et atteste une maturité artistique indéniable. Une référence à certains éléments des cultures dites primitives (arcs, flèches, tambour originant de la Nouvelle-Guinée) confèrent aux œuvres une valeur cultuelle. Les colonnes, comme des stèles muettes, évoquent ce pouvoir du silence (et de l’œuvre) : ..."nous parlons sans à avoir à émettre aucun son". Choix d’un artiste qui s’écarte délibérément de la pensée discursive, au risque de se positionner à contre-courant.

Dans ses travaux récents, il manipule des photocopies - détails photographiques tirés d’œuvres précédentes - et les juxtapose au mur à des éléments en relief: arcs tendus, objets utilitaires, etc. L’emploi de la reproduction comme mode complémentaire de représentation débouche sur d’étonnants métissages (une certaine analogie avec le masque nègre, entre autres). Ses assemblages hybrides l’éloignent de plus en plus de cette approche "formaliste" qui de toute manière, s’accommode mal de telles combinaisons.

Maryse Grondin