Référence : L'Acadie NOUVELLE (Caraquet), Art et culture, chronique du 22 mai 1997, p28
QUAND L'ESPACE VIENT
À MANQUER
par DAVID LONERGAN
Photo : Francine Dion (Moncton)
La Galerie d'art de l'Université de Moncton déborde jusque dans le corridor qui mène à l'entrepôt. Manifestement, les trois expositions toutes fort intéressantes auraient eu besoin de davantage d'espace.
À l'entrée et tout au long du corridor, les photographies de Corinne Gallant de certaines sculptures inuits de la Collection Isadore et Esther Fine qui est exposée en permanence à la bibliothèque Champlain de l'Université. Le défi de Gallant était de taille puisqu'elle devait photographier les oeuvres à travers la vitrine qui les protège. Elle a choisi des angles, des gros plans qui mettent en évidence ce qui la touche nous proposant ainsi un autre regard sur ces pièces. Tout au bout du corridor, presque perdus, quelques portraits d'amérindiens. Gallant sait capter l'essentiel d'un visage et cette nouvelle série n'est pas sans me rappeler le livre Visages de femmes (Éditions d'Acadie, 1987) qu'elle avait réalisé avec la poète Dyane Léger.
Dans la première salle Acquisitions 1995-1996 présente les acquisitions récentes de la Banque d'oeuvres d'art du Nouveau-Brunswick. Pas de réelles surprises mais une grande qualité d'ensemble et, surtout, un large éventail des tendances actuelles de l'art au Nouveau-Brunswick. Ce qui m'a par contre frappé, c'est la forte représentation des diplômés de Mount Allison, 6 sur 17 artistes, et la diversité des techniques de ces artistes. Il y a tout un monde de différence entre la douce simplicité d'une Isabelle Devos et l'atmosphère plus complexe d'une Louisa Barton-Duguay, toutes deux diplômées au début des années 1990. Par contre, tandis qu'aucun professeur de Mount Allison n'est représenté, trois de ceux de l'Université de Moncton y sont: Jacques Arseneault avec une oeuvre de la (superbe) série des jumeaux qu'il avait présenté à la Galerie Struts, Francis Coutellier avec une toile «deux dans une» caractérisée (bien sûr) par une touche d'humour, et Brigitte Roy avec deux oeuvres dont une baignée d'un bleu d'une touchante profondeur et dont elle avait tiré une (fort jolie) carte postale.
Dans la grande salle, une exposition imposante de Lise Robichaud. Intitulée «nature-culture-Nature», cette exposition est issue d'une interprétation du poème Naissance de Raymond Guy LeBlanc (qui est aussi son conjoint) publié dans le recueil Chants d'amour et d'espoir (Michel Henry Éditeur, 1988). Le poème débute par ces vers : «Je suis un aquarium mobile Rempli de poissons colorés» et se continue par une énumération des noms de différents poissons.
L'exposition est une véritable installation, chacune des oeuvres appartenant à un cycle et chaque cycle appartenant au tout. C'est donc plus la force qui se dégage de l'ensemble qui impressionne que la force particulière d'une image même si elles sont toutes intéressantes en elles-mêmes.
On peut soit ne pas tenir compte de tout le discours sous-jacent et se laisser porter à sa façon par les oeuvres, soit se servir de la feuille-guide où Robichaud explique le symbolisme de l'exposition et le sens précis qu'elle attribue à chacune des oeuvres. L'option «ignorance» préserve la part de rêve si nécessaire à l'art tandis que l'option «connaissance» permet de suivre le processus même de la création.
Personnellement, j'ai d'abord vu puis ensuite lu. Dans les deux cas, la masse des éléments nous entraîne dans une profonde réflexion sur l'espace. Car ce n'est pas tant le temps qui est au centre de ce discours sur l'art que l'espace. Comme si cette naissance s'incarnait davantage sur une ligne synchronique (tout ce qui se déroule en un même temps) que sur une ligne diachronique (tout ce qui évolue sur l'échelle temporelle). La profusion d'éléments, de symboles, de pistes s'inscrit dans un ici et maintenant qui nous invite à faire le point sur notre propre naissance. Mais, en même temps, cette surabondance (presque) baroque exige que l'on prenne le temps de se laisser apprivoiser pour en saisir les multiples avenues.
On en revient alors à une autre surabondance: celle d'une petite galerie qui a entassé des oeuvres plutôt que de laisser à chacune l'espace dont elle a besoin pour respirer.
À voir jusqu'au 1er juin.