Comment aborder l'intime, le secret, les douleurs que l'on ressent? Comment dire les émotions les plus fortes de notre expérience humaine? Dans l'exposition «En B mineur» qu'elle présente à la Galerie 12 du Centre culturel Aberdeen de Moncton, Gisèle L. Ouellette nous parle d'elle en exprimant par des toiles ce qu'elle a ressenti à la suite de la mort de son frère Benoît. |
En soi, cette exposition est simple. Huit oeuvres toutes construites des deux mêmes éléments, une grille de neuf carrés et une photo de première communion de Benoît sur laquelle s'ajoutent diverses textures, et une installation qui se compose de trois bannières et de quatre toiles d'autant de mains. Pour lier les oeuvres par des mots, un court texte de Jean Babineau, le conjoint de Gisèle Ouellette, ouvre l'exposition: « la vie cette rumeur attendue de trop loin ce bain de marée qui coule vers les ancêtres qui te poigne de temps en temps». Ce n'est pas une exposition facile. Elle n'est pas belle, elle n'est pas laide, elle n'est pas abstraite, elle n'est pas figurative. Elle est incantatoire. Les trois longues bannières, pièces de coton simplement suspendues, n'ont comme unique élément que les prénoms des membres de la famille nucléaire, placés d'une façon répétitive par ordre d'âge. Mais alors que la bannière centrale porte les cinq noms, Yvon, Vicky, Gisèle, Normand, Benoît (le père, la mère, les trois enfants), les latérales n'en ont plus que quatre: la mort a fait son oeuvre. Les noms deviennent le symbole de la survivance, le symbole de la résistance, le symbole du combat, toujours vain, contre la mort. Cette mort qui emporte le plus jeune des cinq et ce faisant, qui emporte aussi toute logique: on meurt à l'envers dans cette famille. |
[Tous droits réservés ©Francine Dion (Moncton) 31-05-1997]
Chacune des huit oeuvres tente de refléter les états d'âme de l'artiste. Curieusement, la photographie de Benoît semble véhiculer des émotions différentes d'une oeuvre à l'autre. La place de la photo et le contexte pictural changent. La photo est parfois située vers le haut de la toile, parfois vers le bas. Elle peut être accompagnée de dessins, de textures abstraites peintes, de formes géométriques ou plus réalistes.
L'exposition interroge le rapport qui existe entre l'artiste et le regardeur. À quoi sert l'art? Une telle exposition déborde largement l'expérience esthétique pour nous entraîner dans des zones beaucoup plus troubles, beaucoup plus imprécises. Les oeuvres sont à vendre mais j'avoue que je ne me vois pas vivre quotidiennement en présence de cette mort. Là est peut-être la limite de ce travail: on n'est pas face à la Mort mais face à celle de Benoît, un homme encore jeune, emporté par un cancer.
Manifestement, cette exposition agit comme un exorcisme: à chanter la mémoire du disparu, l'artiste cherche à intégrer sa mort, à l'apprivoiser. La recherche picturale passe au second plan. Ce n'est plus l'objet d'art qui importe mais la capacité de rendre compte, de témoigner. Gisèle Ouellette nous invite à plonger dans son «journal intime». Bien sûr, elle utilise des techniques que l'on retrouve dans ses autres oeuvres, bien sûr, ce travail participe aussi de sa démarche artistique. Mais dans ce cas précis le résultat demeure fondamentalement dans la sphère privée. Comme si la distance entre la mort de Benoît et l'oeuvre n'était pas suffisante pour me laisser une place. J'ai eu l'impression d'être un voyeur de la peine de Gisèle et, en regardant l'émotion qui habitait ses parents face à ses images de leur fils, j'ai été saisi à mon tour d'un étrange frisson. Comment regarder la mort?