Interprétation


Cette exposition marque un changement dans l'oeuvre de Lapointe, changement éclipsé en 19908 et accentué au printemps 19989 .

Ceux qui ont pris l'habitude de suivre sa démarche créatrice sont d'avantage en mesure de remarquer cette évolution. Après la taille directe, d'abord dans le bois10 puis dans la pierre11 , qui s'avèrent être une approche plus traditionnelle de la sculpture (procédé de soustraction), voici qu'il réalise ses oeuvres à l'aide de processus plus contemporains tels l'assemblage12 et l'installation (qui sont des procédés d'additions).

Un vaste échantillonnage de l'oeuvre de Lapointe révèle une transition par rapport à l'utilisation des références au monde marin.

"Les oeuvres de Lapointe sont fortement influencées et font directement référence à la dimension inébranlable des forces naturelles qui émanent de la Gaspésie et des Maritimes."13

Au départ, l'approche utilisée consistait surtout à tenter de reproduire, d'une manière tangible, certains éléments du monde océanique et les phénomènes naturels qui s'y rattachent. Des oeuvres telles Étude pour un volcan (1989), Lac cratère (1990), Maëlstrom (1989), Raz (1990), Flurry (1990) et Vague (1985) sont toutes des tentatives à vouloir fossiliser l'eau en action : vapeurs, tourbillons, raz-de-marée.

Les trois oeuvres environnementales Baleines (1992, Université de Moncton), Île (1993, Drummonville) et Hyppocardia (1997, Caraquet) de même qu'un nombre considérable d'oeuvres "domestiques", de dimensions restreintes, sont plus particulièrement des transpositions sculpturales d'éléments marins : coquillages, poissons, algues.

Avec les six oeuvres de cette exposition qu'il a justement intitulée Vaisseaux, Lapointe nous transporte dans un monde totalement différent; résultat d'une période de recherche intensive grâce à l'obtention d'une année sabbatique de l'Université de Moncton.

Première constatation : la majorité des oeuvres sont de dimensions imposantes, ce qui a pour effet de modifier notre rapport avec chacune. Nous n'avons plus à faire face à un objet. La présence physique imposante de la masse nous oblige à nous déplacer pour obtenir une vision globale de l'oeuvre. Il s'ensuit une sorte de lutte en ce qui a trait à l'occupation de l'espace entre le spectateur et l'oeuvre.

L'intrigue, également, y est pour beaucoup. Les masses semblent donner l'impression de renfermer un quelque chose de vital, prêt à éclore, prêt à exploser, à se déplier, à s'envoler, à rouler ou à bouger.

Toutes les oeuvres présentées, même si elles sont tout à fait inertes, ont cette capacité de déployer une offensive pour nous prendre en otage.

La correspondance aux vaisseaux s'établit parallèlement dans cette constatation du rappel au contenant. D'abord l'oeuf, le cocon, la coquille, le pépin et le noyau. Le vaisseau spatial...

Ensuite, le rapprochement aux vaisseaux sanguins, en biologie et aux plantes vasculaires, en botanique. Canaux par lesquels circulent le sang et la sève.

Métamorphose et transmutation sont également de la partie. Le Pétard, qui repose sur son lit de sel, tel un bijou, est prêt à exploser à tout moment et le Vaisseau 2, dont la forme rappelle un cocon, en sont de parfaits exemples.


Luc A Charette, directeur-conservateur
Mars 1999

 

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8.Voir l'oeuvre : Flurry, collection de la Galerie d'art de l'Université de Moncton, 1990
9. Exposition : André Lapointe, Sculptures récentes, Galerie 12, Centre Aberdeen, Moncton, mai 1998
10. Certificat en sculpture sur bois, École Bourgault, Saint-Jean-Port-Joli (Québec) 1976
11. Maîtrise en arts plastiques, Université du Québec (Montréal) 1988
12. Robert ATKINS, Art Speaks : A guide to Contemporary Ideas, Movements, and Buzzwords, 1945 to the Present, 2nd ed. Abbeville Press Publishers, New York, 1997, p55. Assemblage : "WHEN - Despite its early-twentieth-century origins, assemblage moved above ground only during the 1950s. WHAT - The three-dimensional conterpart of COLLAGE, assemblage similarly traces its origin to Pablo Picasso. In collaboration with Georges Braque, he created the first assemblage in 1913 with his sheet-metal Guitar, two years before the DADA artist Marcel Duchamp attached a bicycle wheel to a stool and called it a READYMADE. Previously known simply as "objects," assemblages were named by Peter Selz and William Seitz, curators at the Museum of Modern Art, for the exhibition The Art of Assemblage in 1961. ...Assemblage involves the transformation of non-art objects and materials into sculpture through combining or constructing techniques such as gluing or welding. This radically new way of making sculpture turned its back on the traditional practices of carving stone or modeling a cast that would then be translated into bronze. ...Assemblage is a technique, not a style."
13. Elizabeth Wood (traduction Serge Fisette) "André Lapointe Sculptures", Galerie d'art de Matane, Matane (Qc.), 1990, p4