Tintamarre : La mémoire des oeuvres
Référence : David Lonergan - L'Acadie NOUVELLE, 7 juin 2002

Il est des organismes dont on entend que trop peu parler; ainsi en est-il de la Banque d’oeuvres d’art du Nouveau-Brunswick. Une fois aux deux ans, la Banque organise un concours, achète des oeuvres, présente une exposition, toujours intéressante, dans quelques galeries de la province et se fait discrète jusqu’au prochain concours. Cette exposition est présentée en ce moment à la Galerie d’art de l’Université de Moncton (GAUM).

Toutefois, les oeuvres ne disparaissent pas dans une voûte: elles sont pour la plupart installées dans les édifices gouvernementaux agrémentant halls et bureaux, ce qui est loin d’être négligeable et qui, pour ceux qui y travaillent comme pour les visiteurs, est source de découvertes. Mais, le commun des mortels n’avait jamais accès à cette production qui permet de suivre, année après année, le cheminement des artistes.

L’Accent Acadien : Francine Dion

Debout, de gauche à droite: Paul Édouard Bourque, Roger Vautour, Mario Doucette, Paul Griffin, Lionel Cormier. Assis: Ann Balch, Fran Ward-Francis, Sarah Petite et Gilles LeBlanc.

Or la Banque vient de publier, en accompagnement à l’exposition de ses nouvelles acquisitions, un très beau catalogue dans lequel on retrouve non seulement les reproductions des oeuvres mais des textes qui présentent le cheminement artistique et les biographies des artistes retenus. Un outil distribué gratuitement qui, je l’espère, viendra enrichir les bibliothèques publiques et scolaires mais aussi celles des individus.

L’exposition, qui regroupe vingt oeuvres d’autant d’artistes, est caractérisée par son éclectisme. Mais, en même temps, je ne peux m’empêcher de faire des rapprochements.

Ainsi, la géométrie qui revient sous des formes très différentes dans six oeuvres. Dans Mi’kmaq, Star-Quill Box Series, Fran Ward-Francis a choisi d’explorer certains motifs traditionnels des Mi’kmaqs. La géométrie des formes est précise, ce qui s’explique quand on sait que les Mi’kmaqs ont utilisé le compas dès qu’ils l’ont acquis. Le triptyque sur toile de Ward-Francis est empreint de cette précision et, en même temps, habité par de riches couleurs. De son côté, Roger Vautour travaille depuis longtemps sur le rapport entre la ligne et les formes des poissons et – dans sa toile Survol – des oiseaux, réussissant à dégager l’essence même de leurs mouvements. Gilles LeBlanc, lui, place dans son monotype Tombeau précieux des formes rondes et rectangulaires sur un fond richement texturé créant l’effet d’une douce lumière. Avec Cap Pelé ,la photographe Francine Dion continue sa recherche de décomposition du paysage et avec Sans titre (le secret), le peintre Paul Édouard Bourque illustre la recomposition des visages. Paul Griffin, lui, utilise la géométrie en plaçant une règle entre les parties supérieure et inférieure de son diptyque Waking Leviathan, traçant par le fait même une symbolique du temps.

D’autres ont choisi de s’inspirer de personnages. Avec Promise, un délicat tableau qui met en scène un petit enfant et sa mère, l’aquarelliste Ann Balch affirme avoir cherché à «examiner les effets de la lumière sur une peau foncée».

Au premier regard, le monotype Orphelin de Boystown de Jacques Arseneault semble très réaliste. Au second regard, on découvre que, si le visage et les mains relèvent du réalisme, les textures des vêtements introduisent une autre dimension: le doux sourire du garçon est durci par les vêtements et l’on remarque alors qu’il serre les poings... Avec son tableau Girl in a rocking chair, Jennifer Bélanger présente une de ses petites filles aux bras amincis et au visage hypertrophié, cigarette à la main, créant une atmosphère trouble et fascinante. Ghislaine McLaughlin lie le visage du personnage de Cri de feu au texte de Dyane Léger qui court sur le tableau: le cri du personnage interroge le regardeur, l’incitant à prendre position face à la situation des femmes. Dans un tout autre esprit, le photographe James Wilson propose The Sturgeon Fisherman, image épurée de l’homme souriant et de sa prise placée sur une balance. L’image semble sortir du passé.

Rick Burns, Lionel Cormier et Sarah Petite entrelacent des formes concrètes et des textures abstraites, tissant, chacun à sa façon, des univers originaux: espace limité qui éclate pour Burns, jeu de couleurs pour Cormier, effacement du réel pour Petite.

À l’humour naïf de Mario Doucette semble répondre l’humour caustique d’Hélène Pelletier, tandis que Glenn Priestley et Dan Steeves créent des jeux de mémoire habités par les ombres du passé, Jeffrey Burns, lui, hésite entre le baroque et le symbolisme et Stephen May semble avoir «échappé» une banane sur sa toile qui, autrement, ne serait qu’un doux fond.

L’on ne peut qu’encourager le ministre responsable du Secrétariat à la Culture et au Sport, Dennis J. Furlong, à faire de ce catalogue un accompagnement obligatoire à l’exposition biennale consacrée aux acquisitions récentes: ainsi se construit la mémoire des oeuvres. À voir jusqu’au 23 juin à la GAUM puis à Florenceville, Fredericton, Miramichi et Edmundston.